Billets qui ont 'Embrasser une fille qui fume' comme oeuvre.

Souvenirs vétérinaires

Je commence Les demeures de l'esprit, Grande-Bretagne, Irlande II et j'ai la surprises de tomber sur James Herriot : ça alors, je ne savais pas que c'était un auteur célèbre.

Toutes les créatures du bon dieu est un livre que j'avais découvert en farfouillant dans la bibliothèque de mon oncle vétérinaire, je ne sais pas trop quand, au début des années 80, sans doute. Plus tard, j'avais eu le plaisir de le découvrir aux éditions L'école des loisirs; c'est le livre, avec Embrasser une fille qui fume, que j'ai offert à une amie pour faire vingt-deux heures d'avion. (Elle ne le sait pas, mais elle possède ainsi deux livres rares, épuisés tous les deux).

C'était un livre joyeux, plein d'optimisme et d'anecdotes incroyables sur le métier de vétérinaire.
Mais je les croyais, parce que mon oncle était vétérinaire.

C'est avec lui que j'ai appris ce qu'était l'urgence : il prenait son café, un coup de fil affolé l'interrompait pour réclamer sa présence auprès d'un vêlage qui se passait mal, il disait «J'arrive», se rasseyait, et finissait son café.
Il soignait ses enfants avec les produits vétérinaires, il suffisait de connaître leur poids et d'appliquer la posologie destinée au porc.
Il se contemplait calmement, diagnostiquait ses maladies: «Je savais que mes accès de fièvre signifiaient que le foyer était infectieux». (Cette phrase a été prononcée alors qu'il racontait une opération qui avait failli lui coûter la vie, après plusieurs mois en réanimation suite à un coup de pied de cheval qui lui avait éclaté le foie.)

Un jour il perdit son alliance dans une vache. Le plus étonnant, c'est qu'à la visite suivante, il enfonça sa main pour palper le veau et réenfila son alliance.
Depuis il la porte à une chaîne autour du cou.


PS: Par hasard, j'ai trouvé un vêlage. Ça ne se passe pas toujours aussi bien (voix pleine de regrets de mon oncle: ce jour-là il avait emmené un de ses jeunes fils avec lui), mais je vais vous épargner ça.
C'est à ces contacts vétérinaires que je dois ma façon de considérer la santé en général et tout ce qui touche à la maternité en particulier (les vaches et les chattes font ça très bien, on doit pouvoir s'en sortir sans tout ce foin et tout ce marketing (d'un autre côté, l'accouchement sans douleur, quand vous voyez la tête de la vache ou de la chatte... On ne nous prendrait pas pour des andouilles par hasard?))

Quelques règles quand on fait du stop

Heidi, furieuse que Biff l'oublie pour une partie de flipper, l'a planté là et est partie avec la voiture. La maison est à trente kilomètres. Biff marche. Une voiture s'arrête.

Le conducteur se pencha et ouvrit la portière, côté passager.
— Je vous dépose quelque part ?
— Pendant un instant, Biff eut l'impression d'être un animal; devait-il se débattre ou se sauver? Mais il savait qu'il n'allait pas tourner les talons et s'enfuir, alors il monta dans la voiture.
— Le conducteur aurait facilement pu être un tueur maboul. Vingt ans et quelques, de longs cheveux filasse, une vague barbe de quelques jours. Son vieux break était à la hauteur de la situation, lui aussi. Et il écoutait AC/DC. Mauvais signe. Biff avait lu quelque part que les tueurs maboul aimaient bien AC/DC, en général. Il y avait un chien à l'arrière. Le chien avait un bandana rouge noué autour du coup en signe de collier. Ça, c'était bon signe : en général les tueurs maboul n'étaient pas du genre à nouer des bandanas autour du cou de leur chien.

Randy Powell, Embrasser une fille qui fume, p.246
Je me souviens1 d'une fin de matinée de septembre que je faisais du stop dans les Corbières. C'était l'époque des récoltes, les fruits et bientôt le raisin. Toute la faune des saisonniers, tannée, musculeuse et malpropre, courait les routes. Une voiture s'est arrêtée, genre Ami8 beige, deux gars à l'avant à l'aspect pas très rassurant, maigres comme des chats de gouttière, un grand chien jaune à l'arrière, croisement de coyotte et de berger allemand. J'ai hésité. Je suis montée dans la voiture à côté du chien. Le conducteur a ri en démarrant.
— Pourquoi riez-vous ?
— J'avais parié avec mon copain que vous refuseriez de monter.
Je ne lui ai pas dit que ce qui m'avait décidée, c'était le chien.


En montant dans cette voiture, je ne respectais pas l'une de mes règles : ne jamais monter dans une voiture où il y a plusieurs hommes. J'avais des principes, plus ou moins rationnels, plus ou moins stupides. Il faut dire que la première fois que j'avais fait du stop, la personne qui s'était arrêtée pour me prendre était une femme qui m'avait dit plus tard : « J'ai hésité à m'arrêter, je me suis dis que tu draguais peut-être. » Cela résumait toute l'ambiguïté de la pratique. C'était une pro du stop, à l'en croire, elle devait son actuel emploi à l'auto-stop, et le père du bébé qui dormait à l'arrière avait également été rencontré en stop… (Je l'ai crue.) Elle m'avait donné des conseils :
— Si tu n'as pas envie de monter, ne monte pas.
— Mais je dis quoi ?
— Rien, tu joues l'idiote, tu fais la demeurée, tu dis que tu as changé d'avis.

Elle m'avait donné ce conseil absolument impossible à suivre, à moins de se résoudre à ne jamais monter dans aucune voiture : « Il ne faut monter que si le conducteur a un sourire d'enfant. » (Je n'ai rencontré qu'un automobiliste dont j'ai su au bout de dix secondes qu'il avait un sourire d'enfant. Le sourire d'enfant ne s'épanouit généralement qu'au bout de plusieurs minutes ou plusieurs heures. Ce n'est pas un critère utilisable quand il faut se décider très vite.)

J'avais donc élaboré mes propres règles. Je pense les avoir toutes trangressées.
- ne pas faire de stop à la nuit tombante ;
- ne pas monter dans une voiture conduite par un Arabe (fruit de l'expérience: ils ne sont pas méchants, mais il sort du cadre de leur compréhension qu'une fille qui fait du stop ne soit pas une pute. Autant éviter les malentendus, pénibles à gérer et assez déprimants) ;
- ne pas monter, donc, dans une voiture contenant plusieurs hommes ;
- ne pas monter dans une GS à la carosserie abîmée ou repeinte.

Ce dernier point est une généralisation hâtive tirée de quelques observations concrètes : la GS repeinte est (était, ça se passe il y a longtemps) conduite par un beauf pénible.
Ce n'est donc pas sans une certaine envie de rire que j'ai appris que je ne serais pas montée en stop avec Pascal. Mais peut-être que sa GS n'était pas repeinte. Ou peut-être qu'il ne s'arrêtait pas pour prendre les auto-stoppeuses.


Note
1 : Je suppose que je suis censée penser à Perec chaque fois que j'écris, dis ou pense "je me souviens". C'est trop tard, je pense désormais, et à mon avis pour longtemps, à certains posts de Gvgvsse.
Les billets et commentaires du blog Alice du fromage sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.